Le débat de savoir si l’économie – les sciences économiques comme l’appellent d’ailleurs certaines facultés universitaires – est une science à l’instar des disciplines dites dures (physique, chimie, mathématique, etc.) est aussi vieux que l’économie elle-même. Ce qui plaide contre est l’imprévisibilité de ses phénomènes. Ses défenseurs, eux, avancent que ce n’est qu’une question de puissance de calcul et d’affinage des modèles, mais que l’on y arrivera tôt ou tard. C’est improbable. Nous avons à faire avec des êtres humains dont les économistes en personne ont concédé qu’ils étaient tout sauf rationnels.
Un autre domaine dans lequel l’humain est imprévisible est le recrutement. Dans une situation d’interview, nous sommes réduits à de l’inférence prédictive, alors que beaucoup de sciences dites dures peuvent s’appuyer sur des inférences causales. La différence entre l’une et l’autre est que la première s’appuie sur une comparaison avec des situations similaires. On fait un parallèle. Typiquement, vous interviewez une personne qui a un parcours professionnel et académique plus ou moins similaire à celui d’un membre de votre équipe et vous vous dites : « Si X réussit dans ce poste, alors Y réussira aussi » (bon, ce n’est pas exactement ainsi qu’on se le dit, mais c’est l’esprit). En d’autres termes, on prédit le succès – ou l’échec, il ne faut pas l’oublier ! – d’un recrutement d’après la similarité entre deux profils. C’est une approche à laquelle on peut reprocher, entre autres, d’être un nid à préjugés (biais de familiarité diront les psychologues) : on se raccroche à une expérience vécue.
Dans le cas de l’inférence de causalité, on teste un attribut de l’échantillon étudié. On observe quelle modification est induite par le changement sur le sujet sous observation : si je donne deux fois plus d’engrais à mes géraniums, poussent-il deux fois plus vite ? L’observation de la vitesse de croissance de mes ornements de balcon me donnera la réponse[1]. Quiconque se trouve dans une discipline avec la possibilité de tester une influence sur le sujet étudié – en gardant tous les autres paramètres égaux – détient un rare privilège.
Le recrutement et l’économie ont ceci de commun que nous sommes réduits à tirer des généralités de faits passés, même si la base de notre analyse semble solide : « Elle a étudié à St-Gall, elle doit être excellente en finance ». Il y a des « grandes familles » de prédictibilité mais qui s’appliquent en général et au plus grand nombre, et jamais à un individu – une augmentation de salaire satisfait momentanément, la durée et l’intensité de l’effet variant pour chaque individu.
Quelle est la solution ? Objectiver tout ce qui peut l’être et dépenser le temps et l’énergie nécessaires à professionnaliser les interviews. Les techniques se nomment interviews basés sur le comportement, assessments, évaluations psychométriques et la botte secrète, tellement sous-utilisée, la prise de références.
Comme dans le cas de l’économie, plus on mesure, plus on évalue, plus on teste, plus on s’approche de la vérité.
[1] La même illustration appliquée à l’inférence prédictive serait de dire : je sais que quand je donne deux fois plus d’engrais à mes bégonias, ils poussent deux fois plus vite, donc si j’applique le même régime à mes géraniums, j’obtiendrai le même résultat. Bien entendu, il existe des modèles statistiques très complexes pour expliquer tout cela mais qui vont bien au-delà de mes compétences.