Article publié le jeudi 9 janvier dans le 24heures et vendredi 10 janvier dans la Tribune de Genève
Nous l’observons quotidiennement dans notre métier : en Suisse, le goût pour la prise de risque semble s’amenuiser, et ce, sur plusieurs fronts. Nous ne parlons pas ici de risque pur, comme le jeu à la roulette, mais de risque pondéré, entrepreneurial, celui qui rime avec opportunité.
Contrairement à d’autres cultures et pays, tels que les États-Unis, la Grande-Bretagne ou Israël, les Suisses ont toujours été réputés pour leur prudence. Une qualité indéniable dans des secteurs comme la gestion de fortune ou l’industrie de précision. Mais aujourd’hui, cette prudence semble prendre une ampleur inédite, jusqu’à devenir un frein.
De plus en plus, les professionnels, que nous rencontrons dans le cadre de nos mandats de recherche, privilégient des choix sûrs (plus que par le passé), mais souvent aussi moins excitants et porteurs d’avenir. Un poste dans l’administration publique, avec des horaires fixes et une rémunération évoluant selon des grilles préétablies, paraît désormais plus attractif que le pari de rejoindre – ou de lancer – une start-up innovante, fragile mais prometteuse. Pourtant, dans une start-up, bien que le salaire de base soit généralement plus bas, les stock-options peuvent transformer une vie en cas de succès. Sans compter la satisfaction d’avoir concrétisé un projet visionnaire, ambitieux et hors du commun.
De même, nombreux sont ceux qui préfèrent la sécurité d’un emploi dans une grande entreprise établie, solide et structurée, même si l’autonomie y est souvent réduite. Cela au détriment des ambitions d’un outsider audacieux, où la contribution individuelle peut réellement faire la différence.
Cette tendance s’observe également dans les processus décisionnels. Les barrières et vérifications se multiplient : une ceinture ne suffit plus, il faut aussi des bretelles, au cas — hautement improbable — où le pantalon glisserait malgré tout. Cet excès de précaution reflète un état d’esprit qui peut devenir paralysant.
Prenons un exemple concret. En janvier 2007, parier sur le succès de l’iPhone d’Apple, alors que Nokia, BlackBerry et Motorola dominaient le marché, aurait permis un gain d’environ 2 000 %. L’action d’Apple valait alors environ 12 dollars, contre près de 250 dollars aujourd’hui. Ces opportunités ne se présentent qu’à ceux qui osent anticiper et agir.
L’analogie avec un capitaine de voilier est éclairante : sur l’eau, chaque seconde compte. Naviguer avec audace, anticiper les vents changeants et ajuster sa stratégie en temps réel sont essentiels pour maintenir le cap et rester compétitif. Hésiter ou attendre une garantie absolue dans des conditions mouvantes revient à céder du terrain à ses concurrents.
La capacité à prendre des risques et à saisir les opportunités est l’un des moteurs des sociétés innovantes. Son érosion en Suisse, combinée à des normes toujours plus restrictives, pourrait ralentir la compétitivité et l’adaptabilité du pays face à un environnement global de plus en plus exigeant.
Pour réactiver l’audace entrepreneuriale, il est impératif de favoriser une culture où le risque calculé est valorisé et encouragé. Car, au fond, la fortune sourit toujours aux audacieux.
