
Il fut un temps où le bon sens et la lucidité étaient des qualités prisées. Oser dire la vérité, analyser les faits avec objectivité semblaient être des marqueurs de sagesse. Et pourtant, aujourd’hui, ce réalisme pragmatique semble démodé, balayé par le poids du storytelling ou des déclarations à l’emporte-pièces.
Dans le monde politique, qui veut encore entendre parler de rigueur budgétaire et de réformes nécessaires quand il est si facile de flatter l’opinion – et de se faire élire aux plus hautes fonctions – avec des déclarations simplistes ? Les faits s’effacent derrière les slogans.
Dans le monde de l’entreprise, le constat est parfois similaire. Une grande partie du discours organisationnel semble produit sans considération du réel. Les valeurs organisationnelles se suivent et se ressemblent, déclarations génériques souvent vides de sens et suivies de peu d’effets. L’année est rythmée par les posts LinkedIn, les organisations s’emparant des diverses causes à défendre : le management bienveillant, la compensation CO2, la journée de la femme, la promotion des jeunes, comme la sauvegarde des seniors. Loin de nous l’idée de contester la pertinence de ces sujets… Toutefois, derrière les beaux discours, combien de décisions absurdes et d’initiatives sans lendemain, voire démotivantes ? Nous comptons parmi nos entreprises clientes de nombreuses PME qui promeuvent au quotidien les talents dans toute leur diversité, des femmes, des jeunes, des seniors ou toute autre diversité – sans l’afficher avec ostentation. Et en miroir, certaines qui sur-communiquent sur un management bienveillant, ont recours à des coachs pour des journées au vert invitant une équipe à se vivre ‘comme une famille’… alors même que la réalité des relations vécues demeure tabou. La littérature sur les « storytelling organizations »[1], ces organisations où le discours officiel est (plus ou moins sciemment) développé comme un discours écran aux réalités de pratiques ou de production ne manque pas.
Alors, faut-il vraiment renoncer au réalisme et s’abandonner à la douce illusion ? Peut-être pas. Face au corporate bullshit, il nous semble plutôt essentiel de réhabiliter le sens du concret ; ou pour le formuler de façon très suisse : le pragmatisme. En renouant avec la matérialité, nous retrouvons une boussole fiable pour naviguer, une dimension tangible et concrète de validité qui permet de retisser du sens et du lien, de façon authentique.
[1] Pour les curieux, nous recommandons la lecture de l’article de Boje, D. (1995). Stories of the storytelling organization: a postmodern analysis of Disney as Tamara-Land ,Academy of Management Journal, Vol 38, N°4, 997-1035