En cette période de début de vacances où nous nous réjouissons tous de ne rien faire, un petit quiz : si l’on vous offrait demain de quitter votre entreprise avec 90% de votre salaire jusqu’à la retraite (et retraite pleine et normale assurée), que feriez-vous ? J’entends déjà les réponses et les questionnements fuser : « Aucune entreprise n’offre une chose pareille », « Évidemment que j’accepterais, le calcul n’est pas compliqué, je suis gagnant » « C’est tellement théorique comme question qu’il ne vaut même pas la peine d’y penser ».
Eh bien, détrompez-vous, dans un passé pas si lointain, une organisation d’importance a offert à ses collaborateurs de plus de 50 ans une pré-retraite avec 90% du salaire, y compris tous les bénéfices pour les partenaires et enfants. Bref, un pont d’or comme en général seuls des managers de haut vol réussissent à en négocier. Le département RH de la société concernée avait déjà engagé une équipe pour traiter toutes les demandes qui devaient affluer. Parallèlement, une campagne de recrutement pour remplacer tous ces nombreux départs allait être lancée. Mais la surprise fut de taille : moins de 4% des personnes éligibles ont accepté le « package du siècle que n’importe quel Homo Economicus aurait accepté. En effet, les 10% de « manque à gagner » ne pèsent pas bien lourd et se compensent facilement par un peu de consulting, une autre activité professionnelle ou … par une diminution de son train de vie (on estime en général que, sans changer réellement de train de vie, un ménage peut économiser un maximum de 10% de ses dépenses usuelles). Les récipiendaires de l’offre avaient quatre mois pour réfléchir, cela signifie qu’ils ont eu le temps de peser, soupeser, évaluer, calculer, demander, tourner cela dans leur tête. Quelles peuvent bien être les raisons de ce manque d’enthousiasme pour l’affaire du siècle ?
Cette réaction a priori contre-intuitive n’a pas d’explication claire et unique, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses et nous en voyons plusieurs. D’abord le prestige présumé de leur employeur (perçu par les employés et le public en général), notion bien subjective. Le prestige de son employeur est une façon de se valoriser, comme l’est une belle voiture ou une belle maison. L’ennui potentiel est-il un argument ? Se retrouver oisif sans grande probabilité de retrouver une autre activité professionnelle est un élément important pour nombre d’employés. Le « syndrome de la carte de visite » alors ? Dans un monde dans lequel les emplois deviennent incertains, voire précaires, mais avec encore un important contingent de personnes qui ont connu l’ère de « l’engagement à vie », partir c’est perdre son identité de personne, car son identité équivaut à celle de son travail. Nous sommes ce que nous faisons. Renoncer à cette identité, l’âge de la retraite arrivé, est bien assez difficile, pas question d’avancer cette « épreuve » si ce n’est pas absolument nécessaire. Voilà quelques possibles raisons ayant incité nos heureux potentiels bénéficiaires d’une offre qu’on ne peut refuser à … la refuser !
Cette réflexion pose aussi la question de qui nous sommes en dehors du travail, et de comment nous nous voyons en tant qu’être humain et contributeur à la société hors du contexte professionnel. Il est possible, probable même, que certains des employés ayant refusé auraient pu, par de nombreuses autres façons, contribuer plus et mieux à leur environnement et la société, question qu’ils se sont soit gardés de (se) poser, soit qui ne leur a pas donné des réponses satisfaisantes et/ou rassurantes. Non, ils ont paradoxalement choisi le confort : le confort de la mono-identité affirmée dans un total manque de remise en cause et de prise de risque. C’est un peu triste mais très humain.