Dufry, société fondée en 1865, est le leader parmi les opérateurs mondiaux dans l’activité Duty free (vente de produits hors taxes, en particulier dans les aéroports).
Le premier défi quand l’on s’adresse à Madame Herzig est de choisir la bonne langue : parlant couramment le russe, l’anglais, le français, le serbo-croate (en plus du polonais, de l’allemand et du slovaque), il s’agit d’abord de se mettre d’accord là-dessus. Mais qu’à cela ne tienne, notre interlocutrice ne se laisse pas décontenancer par ce genre de détail et saute d’un idiome à l’autre avec aisance et charme. Il est aussi difficile d’imaginer que Madame Herzig a débuté sa carrière professionnelle au tout début des années 1990, en URSS, au moment de la Perestroïka : d’abord on ne peut que constater le chemin parcouru (au propre comme au figuré), mais aussi l’évolution culturelle et sociale à laquelle elle a non seulement assisté mais contribué. Ce qui frappe le plus, c’est l’intensité de la personne et de sa présence.
Notre interlocutrice a de qui tenir, sa grand-mère maternelle a participé à la bataille de Leningrad puis a dirigé en URSS un conglomérat dans le textile. Une femme qui lui a servi d’exemple dans sa ténacité, sa volonté de se former constamment, de rester au top de son industrie et ses compétences. Et puis, elle tient son esprit de compétition de son père, champion de judo. Aujourd’hui, mariée avec un Suisse avec lequel elle a eu une fille (19 ans), elle est attachée à son pays d’adoption où elle a étudié et réside depuis vingt-cinq ans. Le parcours professionnel de Madame Herzig l’a amenée à travailler pour des marques de luxe, des sociétés dans la cosmétique et dans le monde de la parfumerie, activités qui l’ont menée à voyager, résider et travailler dans de nombreux pays.
Née dans une société au sein de laquelle la discrimination de genre n’existait pas, elle ne s’est rendu compte du statut des femmes dans le monde du travail sous nos latitudes qu’en sortant de l’URSS. La « concurrence » des genres reste biaisée… en sa faveur ! Tant elle est travailleuse, performante et infatigable.
Frank Gerritzen : Madame Herzig, que représente le travail pour vous, quelle place a-t-il dans votre vie ?
Ekaterina Herzig : Pour moi, il n’y a pas de dissociation entre le travail et la vie privée, je ne vis pas le concept du work-life balance. Dans la vie professionnelle, il y a parfois des décisions faciles et dans la vie privée, il y en a des bien plus difficiles. La vie nous met face à des situations complexes même avec son enfant, mais quand on lui donne du sens, cela ne pèse pas. Ce qui est important, c’est un environnement, pris au sens très large, dans lequel on peut se développer, se sublimer. Et cela n’est possible que quand l’on a une très bonne connaissance de soi, c’est elle qui permet la progression. Par contre, si j’ai dû prendre des décisions difficiles, négocier intensément, mon esprit a besoin d’un repos que seul une retraite en moi-même le permet : le sport (intense, bien sûr !) ou du calme et de la sérénité.
FG : Si vous aviez choisi un autre métier, lequel aurait-il été ?
EH : Mon amour de la dance et de la musique m’aurait certainement donné l’ambition de devenir danseuse de ballet (et j’aurais déjà fait ma reconversion à mon âge). Ou alors j’aurais cherché à aider les autres, à faire la différence, dans une ONG par exemple. C’est d’ailleurs ainsi que je donne aussi du sens à ce que je fais : pas tellement par ce que j’accomplis, mais par ce que j’accomplis grâce à l’influence que j’ai sur les autres, à la façon dont je leur permets de s’accomplir dans leur discipline. Je suis une généraliste accomplie, c’est dans cette compétence que se trouve ma spécialité, aussi paradoxal que puisse sembler ce concept. Je fais en sorte que mes collaborateurs proches, mon équipe et l’organisation bénéficient toujours de mon implication. Rien n’est plus gratifiant que de voir mes proches collaborateurs, jusqu’à toute l’organisation, bénéficier de ma contribution. C’est quand ils se sentent valorisés et écoutés que les employés donnent plus à l’entreprise, augmentent leur performance et celle de leur employeur et s’occupent bien de leurs équipes et des clients. Les résultats positifs de l’entreprise sont la conséquence d’un système qui fonctionne et où chacun a sa place.
FG : Quelle est la culture qui règne chez Dufry ?
EH : Le groupe Dufry actuel est la résultante de la fusion avec, et du rachat de, plusieurs acteurs importants situés aux quatre coins du globe (65 pays), et ceci au cours des dix dernières années seulement. Ceci en fait le leader mondial incontesté dans son domaine avec une part de marché de plus de 20% aux aéroports. Mais qui dit croissance rapide par rachat dit aussi intégration de cultures nationales et d’entreprise dans un temps très rapide, ce qui n’est pas possible. Mais nous visons à parfaire cet aspect de notre développement en gardant toujours à l’esprit le service au client.
FG : Quel genre de manager êtes-vous ?
EH : D’abord, il me faut établir un climat de confiance qui permet une réelle collaboration. La confiance n’est pas un acquis, c’est quelque chose qui se construit. C’est dans un climat de confiance que les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes et se dépassent. Je suis là pour leur faciliter la tâche. Dans mes revues avec mes subordonnés j’écoute, car c’est dans ces moments que l’on peut enfin parler des choses importantes, mais seulement si la confiance est là. L’esprit critique, le recul, la curiosité, la dynamique de groupes, voilà les thèmes que je chéris et que j’essaie de développer chez mes collègues. Ce qui me semble essentiel pour toute personne gérant d’autres personnes, c’est qu’il faut prendre garde à ce que ses subordonnés soient au bon poste, au bon endroit, au bon moment de leur carrière. Les managers ont la responsabilité de repérer les talents et les inciter à non seulement atteindre leurs objectifs, mais aussi de les surpasser et ainsi, par leur attitude et engagement, faire avancer toute l’entreprise. C’est le cercle vertueux de la curiosité qui engendre l’innovation, crée un esprit d’équipe positif et permet à tous de se sentir contributeur au succès de l’entreprise.