Déjeuner avec Julianne Jammers, Managing Director du Swiss Tech Convention Center

Ganci & Partners a décidé d’innover en 2018 en se lançant dans une série de déjeuners-interviews avec des dirigeantes et dirigeants d’entreprises locales. En alliant l’utile à l’agréable, l’idée est de brosser un portrait au-delà du CV et de comprendre ce qui anime ces personnes dans leur quotidien, ce qui les a menées à leur poste actuel. Frank Gerritzen, Partenaire au sein de notre cabinet, nous présente une vision aussi candide que possible de ceux qui se cachent (ou pas !) derrière une carte de visite.

Quand on demande à Julianne Jammers, Directrice Générale du Swiss Tech Convention Center, si elle ne s’est jamais sentie discriminée comme femme dans une entreprise, elle réfléchit longuement, scrute le passé, et répond que non. Elle ne sait pas dire pourquoi d’ailleurs, elle n’a jamais eu besoin d’appliquer, dans ses différentes fonctions, des mesures pour lutter contre la discrimination. Pour elle, c’est la meilleure personne pour le poste qui compte, quel que soit son genre. Fille d’un avocat de l’armée de l’air américaine et d’une infirmière, avec deux frères à la maison, elle est maintenant mère de trois garçons jeunes adultes. Les hommes, ça la connaît !

Le parcours professionnel de Julianne Jammers a quelque chose d’exemplaire. Exemplaire parce que Julianne s’est laissée porter par les événements tout en s’attachant à un fil rouge dans ses décisions de carrière, fruit du hasard et de la volonté : comme la plupart des jeunes elle ne savait pas ce qu’elle voulait faire plus tard. Par contre, une vision générale de « vivre et travailler à l’étranger », probablement générée par un séjour de trois ans en Allemagne avec sa famille, a été une étoile qui l’a guidée vers des études liées à l’international, puis un échange en dernière année académique avec une université allemande près de Francfort. Après une première recherche d’emploi compliquée en Allemagne, le hasard des rencontres l’a menée chez Procter & Gamble (P&G). Cela a été le tremplin de sa carrière. D’abord parce que cette entreprise est une école de management à elle seule : les principes de fonctionnement y sont clairs et établis depuis longtemps, chacun est évalué à moitié sur son business (ventes, chiffre d’affaires, progression, etc.) et à 50% sur la façon de s’occuper de son équipe, de la faire progresser. Quand un employé sait que son supérieur lui veut du bien, souhaite sincèrement son développement professionnel et personnel, il s’établit une relation de confiance, de respect mutuel et d’autorité qui font avancer le maître aussi bien que l’élève. P&G a aussi comme objectif, une notion très vingtième siècle de nos jours, d’engager les gens pour la vie. Ceci a l’avantage de rendre les employés confiants et les encourage à bouger en interne. P&G devient une famille pour Julianne, elle y crée des amitiés fortes.

« Notre génération vient d’une culture workaholic, à laquelle je m’identifie, je ne peux pas rester deux semaines sans rien faire »

Julianne Jammers

Son patron chez P&G est un exemple pour Julianne. Elle aura de la chance car elle estime avoir (eu) des patrons très différents mais tous, sans exception, lui ont beaucoup apporté. Quand on voit l’enthousiasme que Julianne déploie à parler de sa carrière, l’énergie positive qu’elle dégage et l’optimisme dans sa vision du monde, l’on est en droit de se demander qui de ses patrons ou d’elle a le plus profité de la relation ! L’autre enseignement qu’elle a tiré de la qualité de gestion de ses supérieurs est que c’est l’équipe qui compte. C’est toujours « nous » et jamais « je », à contre-courant de la tendance actuelle.

Le hasard des rencontres lui fera faire la connaissance de la personne en charge de recruter les candidats MBA (Master of Business Administration) de l’IMD à Lausanne. Le poste de rêve pour Julianne, toujours avide d’apprendre, de découvrir de nouvelles choses et de nouveaux environnements. Julianne lui demande de l’avertir si jamais elle quitte son poste. Le téléphone sonne quatre mois plus tard et c’est chose faite. Dans sa nouvelle fonction, Julianne Jammers parvient à cibler la recherche de candidats MBA de façon beaucoup plus précise et à diminuer les candidatures en augmentant leur pertinence. Elle utilise aussi son sens du commerce : il faut que l’écolage soit à la hauteur de la très haute qualité de formation dispensée à l’IMD. On peut enseigner en créant de la valeur. Ce sens commercial lui servira et la sert toujours. Pourtant, quand elle compare les systèmes académiques payants aux États-Unis et (quasi) gratuits en Suisse, elle se pose des questions.

A l’IMD, la relation qu’elle construit avec « ses classes » comme elle les appelle devient personnelle et forte. Julianne est aussi la personne qui va « commercialiser » les nouveaux diplômés auprès de potentiels employeurs : elle qui s’occupait auparavant du marketing de grandes marques de produits, le fait dorénavant pour des personnes, ce qu’elle apprécie beaucoup et fait avec beaucoup de succès.
« Moi qui viens d’une culture (ndlr : P&G) très attachée aux faits et aux données, je me surprends, paradoxalement, à considérer de plus en plus l’attitude des candidats »

Julianne Jammers

Ses compétences en recherche de personnes parviennent aux oreilles de Klaus Schwab, fondateur et dirigeant du World Economic Forum (WEF) qui cherche alors à mettre sur pied un Global Leadership Fellows Programme (1). Elle va pouvoir cibler, inviter et sélectionner l’élite politique, économique et scientifique. Julianne Jammers est la personne idéale, a les compétences, l’expérience, les langues (rare pour une Américaine, du Colorado). Il ne lui manque que le profil « Ivy League » (2) qu’ont beaucoup de ses collègues. Elle occupe plusieurs rôles au WEF et glisse vers une fonction RH, fonction qu’elle professionnalise et adapte à la structure du WEF qui grandit avec une très grande rapidité. L’organisation doit être adaptée à sa nouvelle réalité. Mission accomplie !

André Schneider, actuel Directeur Général de l’Aéroport de Genève, pour qui elle a travaillé au WEF et qui a occupé le poste de Vice-Président à l’EPFL, l’appelle et lui demande si elle ne veut pas gérer le tout juste inauguré Swiss Tech Convention Center, un centre de congrès sur le campus de l’EPFL. Ni une ni deux, un terrain vierge et inconnu, voilà qui enthousiasme Julianne. On lui demande initialement de faire tourner la maison. Julianne nous explique qu’équilibrer les comptes d’un centre de congrès est un véritable défi. Le rôle d’un centre de congrès est d’apporter une retombée économique et une forte notoriété à l’EPFL, à la communauté locale, et à la région. Le STCC n’en est pas moins responsable de son coût opérationnel. Julianne, le comprend et impose dès le début une rigueur financière et porte une attention journalière à la marge opérationnelle. L’équilibre financier est possible, les résultats sont là pour le prouver. Et d’ailleurs, elle crée ce printemps le premier salon organisé par le Swiss Tech Convention Center comme promoteur, et non pas, comme habituellement, par un organisateur d’événements externe, un thème très porteur et en soutien à la ville de Lausanne, L’EPFL et l’UNIL : « SPOT », une initiative pour promouvoir les innovations et les pratiques dans le sport.

Quelques questions à Julianne Jammers

Frank Gerritzen : A quels critères prêtez-vous attention quand vous recrutez quelqu’un au Swiss Tech Convention Center ?

Julianne Jammers : Je suis généralement la dernière personne que nos candidats voient avant une offre formelle d’engagement. Moi qui viens d’une culture (ndlr : P&G) très attachée aux faits et aux données, je me surprends, paradoxalement, à considérer de plus en plus l’attitude des candidats. L’attitude est très importante, à compétences et connaissances égales, elle comble toutes les failles d’expérience, de métier et de formation.

Mais comment évaluez-vous en une heure d’entretien l’attitude d’une personne, et surtout son attitude future ?

C’est évidemment impossible. Alors nous portons beaucoup de soin à intégrer la personne à son nouveau poste et à la suivre attentivement pendant la période d’essai. Même si quelqu’un peut montrer des facettes positives pendant plusieurs entretiens d’embauche, il ne lui est pas possible de le faire dans une situation de travail et c’est là que nous finalisons notre décision d’embauche.

Vous nous avez affirmé que le genre ne joue pas de rôle pour vous. Qu’en est-il d’un autre sujet RH très « chaud » en ce moment, à savoir l’attitude des jeunes générations envers le travail ?

Joker ! Non, plaisanterie à part, mère de trois jeunes adultes, je constate que ma génération a toujours travaillé très dur. Et nous avons l’impression que les jeunes s’éloignent de cet exemple. Je dois avouer que je me pose beaucoup la question de qui a raison : mes références de succès professionnels sont ancrées dans des principes de travail acharné, de certains sacrifices personnels, de volonté et d’abnégation. Cela n’a peut-être pas disparu chez les jeunes, mais cela semble être différent et moins prioritaire pour eux. Notre génération vient d’une culture workaholic, à laquelle je m’identifie, je ne peux pas rester deux semaines sans rien faire. Je suis curieuse de voir comment évoluera le monde du travail.

Vous êtes une femme qui avez fait carrière, en Suisse. Pensez-vous avoir servi de modèle à d’autres femmes ?

Je ne sais pas, en tout cas on ne me l’a jamais dit ainsi. Ce que je sais c’est que j’ai d’anciennes collaboratrices qui me demandent régulièrement de retravailler avec moi. J’imagine que c’est cela être un « role model »!

A l’heure où l’individualité est omniprésente, et au vu de  vos compétences, n’avez-vous jamais songé à créer votre propre entreprise (3) ?

Oui, entre deux postes j’ai songé à devenir « coach ». Mais le mot est tellement usurpé et la fonction tellement floue que je me suis dit que j’allais continuer sur la voie de l’entreprise classique. Ceci dit, j’adorerais rejoindre des conseils d’administration pour soutenir, conseiller, orienter des chefs d’entreprise de petites ou moyennes organisations ».

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(1) Global leadership fellows programme

(2) L’Ivy League est un groupe de huit universités privées du Nord-Est des États-Unis. Elles sont parmi les universités les plus anciennes (sept ont été fondées par les Britanniques avant l’indépendance) et les plus prestigieuses du pays. Le terme « Ivy league » a des connotations d’excellence universitaire, de grande sélectivité des admissions ainsi que d’élitisme social. (Source : Wikipédia)
(3) Le restaurant où Julianne a délicatement insisté que pour nous déjeunions est en fait celui de son fils de 25 ans, récemment gradué de l’EHL

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