Le titre peut faire sourire, ou grincer des dents, c’est selon. Il s’agit de revenir sur un thème maintes fois débattu, celui des CEOs et autres dirigeant·e·s toxiques. Ceux qui n’ont pas conscience de la planète sur laquelle ils voyagent. Si tout ou presque a été dit sur le sujet, mais que nous y revenons malgré tout, c’est parce que nous sommes convaincu·e·s que le problème est loin d’être résolu. Bien des dirigeant·e·s, « perché·e·s » au mieux, maléfiques au pire, ravagent les organisations que ces personnes sont censées gérer. Peut-être qu’à force d’en parler, les choses changeront, un peu.
En tant que prestataire actif dans la recherche de dirigeants, nous sommes confronté·e·s à un dilemme qui, s’il n’est fort heureusement pas fréquent, émerge de temps à autre : un tel patron de PME nous mandate pour la recherche d’un cadre. Cette activité requiert de nombreuses interactions avec le mandant. Nous devons comprendre l’organisation, la culture et les valeurs d’entreprise, déterminer le profil idéal en fonction des besoins, des perspectives de croissance et d’autres facteurs déterminants. Peu à peu se dessine en la personne de notre interlocuteur une nature peu amène, pour dire les choses poliment. À tel point que, et là réside le dilemme, nous ne sommes pas très à l’aise de recommander à qui que ce soit de présenter une candidature. Pris assez tôt, ce problème peut se résoudre par notre renoncement au mandat. Mais souvent, le caractère véritable de ce patron se révélera bien plus tard, lorsque notre candidat·e aura déjà quelques jours ou semaines d’activité chez son nouvel employeur.
Et c’est la boîte de pandore qui s’ouvre : nous comprenons avec le temps que ce CEO est autoritaire, n’écoute personne, s’entoure de béni-oui-oui, se débarrasse, au propre comme au figuré, de toute opposition, ne tolère ni la contradiction, ni le débat. Bref, il n’a aucune, mais alors aucune, capacité de remise en question.
De notre point de vue, ces caractères ont tendance à se nourrir de leur statut, se raconter des histoires, n’entendre que ce qui leur plaît, réagir de façon épidermique, et changer d’avis comme une girouette, à savoir sans réflexion ni logique.
Cette situation ne serait pas si grave si l’entourage professionnel de ces personnes ne s’en trouvait terriblement affecté, avec des conséquences sur le moral, la motivation et le bien-être mental. Conséquences : burnouts, départs en masse, difficultés à trouver de bons profils (une réputation se construit vite, surtout si elle est mauvaise), ambiance délétère dans l’entreprise, dont notre héros n’a d’ailleurs aucune conscience, tant il survole notre réalité pour se réfugier dans la sienne. Alors que nous préconisons de s’entourer de personnes qui élèvent le niveau général d’une société, lui nivelle par le bas, pour autant qu’il règne.
Que faire de tout cela ? Par essence, les personnes perméables à la critique ne se laissent pas dériver à ce point. Les autres, celles qui nous concernent, si. Il est donc difficile d’avoir de l’emprise sur elles. Le conseil d’administration, constitué souvent des membres de la famille représentant l’actionnariat et inconscient de la réalité et de l’incompétence de leur directeur, n’est pas très utile ; ou alors les plus proches se fatiguent et abdiquent devant si peu d’écoute et de prise en compte de leur avis. Nous pouvons essayer d’agir sur la gouvernance : un membre externe et professionnel du conseil peut donner un éclairage différent et ouvrir les yeux des autres membres. Malheureusement, même cela est compliqué. Peut-être vaut-il mieux laisser faire la loi de la nature, et attendre qu’une attitude autodestructrice aille jusqu’à son terme, non sans provoquer moult dégâts au passage chez les employés·e·s qui y ont cru et qui, souvent, se sentaient coupables d’être à la source du problème.
Mais la vraie frustration vient de ce que notre roitelet, après avoir été lessivé, blâmera le monde entier pour ses malheurs, sauf lui-même. Une entreprise, quelle qu’elle soit, dépend toujours de sa gouvernance, soyez vigilant.
- Publié le septembre 19, 2023
- Par Vincenzo Ganci
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